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"St Ex 0.1". Ancien Musée de Peinture. Grenoble

« ST-EX 0.1 »

Exposition de FAVORY à la Plateforme, ancien Musée de Peinture

L’ancien Musée de peinture de Grenoble est un lieu imposant, avec sa large façade sur cette place de Verdun qui a désormais comme fonction d’être un lieu de passages motorisés et parfois de manifestations pédestres ; et l’on a doté ce nouveau lieu d’exposition du nom de Plateforme qui évoque autant l’idée de mécanique que de tribune. Le piéton lui, étonné d’être encore là, se dépêche de traverser à grandes enjambés cette place carrée pour la découvrir.

L’affiche de l’exposition « St Ex 0.1 » de Christian Favory ne dépare pas avec l’intérieur monumental des lieux : grandes portes de bois, escaliers de pierre et belle hauteur de plafond dans cette enfilade de grandes salles où le moindre pas ou chuchotement font résonance. Il faut dire aussitôt combien l’espace d’exposition perd un peu de sa froideur, avec sa gigantesque banque documentaire sur la gauche et cette imposante et originale structure d’accroche du scénographe Jean-Jacques Hernandez. Certains bâtiments sont à l’image de l’individu qui les occupe : l’image extérieure fait autorité et l’intérieur révèle une chaleur humaine pudique et sincère. Christian Favory dit que son scénographe a conçu comme structure d’accroche pour ses tableaux un dispositif en forme d’oiseau vu du dessus : « Comme l’Aéroport, quelque chose de massif et de fragile comme si le moindre coup de vent risquait de tout effondrer. C’est fantastiquement travaillé. On sent la compétence de l’ingénieur en se demandant comment tout cela tient. »

Pour commenter cette dernière exposition, Christian Favory dit en priorité l’admiration qu’il a pour Santiago Calatrava, architecte de cet Aéroport Lyon Saint Exupéry. Il présente son exposition comme l’hommage d’un artiste à un autre artiste. Cela énoncé, revenons sur le parcours de Christian Favory. Qui aura remarqué la présence du dessinateur en pleine action en tout petit au milieu de son tableau repris sur l’affiche ? Cet individu est pris par lui-même en délit d’observation par un effet miroir. Avec un rien d’espièglerie, l’enfant au fond de la cour s’est découvert puis représenté au cœur de son univers.

« Ma première exposition date de 1986, avec une association de peintres amateurs. Je présentais des encres de petits paysages. J’utilise de l’encre de chine, puis je procède à une nouvelle intervention de coloriste avec mes petites bouteilles d’encre solubles dans l’eau et permanente sur du papier, toujours du Arche grain torchon 300 g. Ce n’est ni la technique du lavis, ni celle de l’aquarelle. À l’époque, je dessinais surtout des vieilles pierres et des portes de granges. Puis, il y a eu une autre exposition en 1990 à la galerie Marie-Louise, rue Bayard quartier des antiquaires à Grenoble, une série de tableau sur Grenoble et ses coins de rue. » Et d’ajouter mi-figue, mi-raisin : « J’ai un tableau de la place Grenette qui est parti à New York ! C’est un challenge que de choisir de présenter autre chose que des personnages. »

Il faut ajouter à ce point du récit que Maître Christian a longtemps exercé l’activité d’enseignant. Il est de ces pédagogues exigeants d’abord avec eux-mêmes qui établissent une relation d’accompagnement personnalisé avec chaque enfant, utilisant le travail en groupe comme un outil d’épanouissement ; installant dans la classe ce subtil mélange entre autorité et affection réciproque, non feinte et jamais énoncée.

Le Jurassien de racines et de cœur a compris son statut d’artiste dès sa première exposition : « À partir du moment où vous avez fait ça, ça ne vous appartient plus. Vous apprenez à entendre les remarques comme « C’est très bien fait » et les questions comme « Ça vous a pris beaucoup de temps ? » ». Viennent aussi les conversations sur la façon d’appréhender un décor urbain. « Pour mon exposition sur Venise, un choix par envie, je suis revenu avec beaucoup de photographies et de croquis. » Au passage, le synthétique Christian nous décode le titre de cette exposition : « 01, parce que je fais beaucoup de dessins directement à l’encre de chine, au Rotring 01. Ce stylo ne se travaille jamais à la verticale. Je n’ai pas envie de gommer, je ré-interviens sur mon premier tracé. Je retourne dans la matière. C’est en regardant mes propres photographies que je me suis intéressé à un travail spécifique sur la couleur, pour rendre cette décrépitude des murs humides. C’est très intuitif, j’ai appris à mieux cadrer. J’évite la mémoire de la couleur exacte, je contraste les valeurs des couleurs entre elles. »

L’exposition sur Venise a tourné en différents lieux. « Je suis fier d’être vendu. Cela permet d’autres projets. Le matériel est très cher. Chaque tableau vendu me donne le moyen d’en faire de nouveaux. » Puis, il ajoute en riant : « Avoir des tableaux vendus, c’est à la fois une reconnaissance et un engagement à ce qu’on me laisse hiberner pour créer ! ».

Retour à l’exposition St-Ex 01. « La première fois que j’ai découvert cet aéroport pour accueillir des amis étrangers qui venaient de Constantine, l’attente a été longue et j’ai été fasciné par le travail de Calatrava. Je suis parti à sa découverte pour comprendre comment il concevait son architecture. J’ai voulu transmettre cela en dessin. Cette exposition est ni un travail de copie, ni une re-création. J’ai avancé en trois étapes : je suis parti du figuratif pour arriver à l’animalier et finir en abstraction. »

Il est des artistes qui desservent leurs créations quand ils tentent d’analyser leur cheminement. Ce n’est pas le cas de Christian Favory, le pédagogue se met au service de son propre travail justifiant cette création personnelle par un : « J’ai beaucoup donné aux autres… ». Puis, il enchaîne: « Je commence par un reportage photographique sur place. Ensuite, je fais du débricolage avec ces photos, je découpe, je colle. Je réorganise autrement en restant fidèle à la réalité. Ce qui fait l’équilibre du dessin, c’est la lumière, la couleur. Mes croquis et mes photographies m’aident à visualiser l’image dans ma tête, avec des possibilités de variations. J’interprète une réalité que je m’approprie. Depuis mon exposition sur Venise, je travaille dans un format 60 X 80, en référence à un format de cadre. C’est aussi une bonne dimension qui permet de prendre du recul pour regarder. Je suis toujours dans le format vertical. » Christian est un homme debout, y compris lorsqu’il dessine dans un format portrait plutôt que paysage. Il n’est pas de ceux qui s’étalent en sentiment, mais plutôt un homme d’humeur égale, capable de coup de gueule, et dégageant surtout une réelle bienveillance. Sa peinture est son architecture intérieure, son équilibre. Cet aéroport s’appropriant le nom d’un écrivain aviateur est pour lui une voie d’accès dont Santiago Calatrava est le maitre-accompagnateur.

« Après cette étape, je peux passer à autre chose. » Si les vitres de ces bâtiments ont fait apparaître au cœur d’un tableau le « croqueur » en repérage, le visiteur de cette exposition en instance de voyage trouvera matière à se projeter dans ces formes abstraites qui prendront pour lui d’autres figures. « Je vais poursuivre ce travail d’explorateur des lieux. Je retournerais à St-Ex avec un autre œil. Certains ont vu dans mes tableaux des éléments rappelant Gaudi, une baleine, un papillon ou une sauterelle. Je veux chercher la petite bête, dénicher l’aspect graphique de l’animal. Les trois périodes figurative, animalière et abstraction sont mélangées dans cette installation, elles représentent deux ans de travail long et laborieux. J’écoute mon propre rythme. Je suis un dessinateur très appliqué, très méthodique travaillant souvent la nuit à la lumière électrique. On ne me reconnaît plus à ma table à dessin. Je suis dans un acte de création. Je m’investis totalement dans la fragilité des encres, à chercher le juste mélange. Je sais comment vont évoluer les pigments. Je réfléchis. Je continue en grand format sur des petits détails. Les notions d’échelle et de point de vue bougent, s’éloignent de la simple représentation. J’ai longtemps cheminé près des vieilles pierres, pour comprendre les marques du temps, l’importance de la mémoire. J’accompagne, je donne à observer ce bâtiment moderne, ce nid d’avions. Je prépare sa mémoire… »

Le peintre solitaire peut avec le recul que lui apportent ses expériences dans l’Humain, poursuivre paisiblement le déroulement de sa création. Pour rebondir sur le titre de cette exposition, utilisons le mot de syntaxe. Le sens de « construction grammaticale » évoquera son exigence à respecter les mots dans leurs spécificités ; celui de « ordre, arrangement, disposition » s’appliquera à son sens du travail précis et solide, et nous garderons surtout celui de « composition d’un ouvrage » qui résume pleinement les engagements citoyens comme les recherches artistiques de Christian Favory.

Grenoble, le 2 février 2011

Pierre Lecarme, journaliste.

"St Ex 0.1". Ancien Musée de Peinture. Grenoble
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Published by Christian Favory